L’ORIGINE DE LA SYMETRIE

Après avoir vu que le principe de relativité absolue annonçait le principe de moindre action généralisé, on continue sur cette droite lancée, et on observe la portée universelle de ce principe au cœur du vivant.

Voyons dans le détail comment ça marche.

Partout, à toutes les échelles, il y a beaucoup plus de formes simples, symétriques, avec des motifs qui se répètent. Et ce même au niveau microscopique, avec les protéines par exemple, qui sont très symétriques, beaucoup plus qu’elles ne devraient, car elles pourraient en théorie s’assembler de mille autres manières asymétriques. 

Pourquoi ce biais systématique envers la symétrie ? C’est comme si on gagnait à tous les coups ou presque au casino. D’où vient cette veine de débutant du vivant, cette martingale intime qui nous concocte toutes ces belles symétries ? D’un malin génie d’une précision diabolique ? 

Non, de la flemme de Mère Nature. 

Explication. Si on veut carreler un sol et qu’on dit : « mettez moi ce même carreau 100 fois », c’est court, je veux dire à décrire; mais si le carrelage est asymétrique on doit dire où va chaque carreau, et là c’est beaucoup plus long. Et c’est aussi simple que ça : ce qui est symétrique demande moins d’informations pour être décrit.

Des simulations informatiques, dans la belle étude publiée au Pnas le 11 mars 2022, ont réussi à reproduire ce mécanisme qui a lieu avant la sélection naturelle, c’est-à-dire dès la variation au niveau de l’ADN, à la première étape des mutations aléatoires des gènes. 

Avec une idée vertigineusement simple a la base : si on alimente au hasard des programmes informatiques, comme une bande de singes qui tapotent sur un clavier au pif, il est alors exponentiellement plus probable de produire des résultats avec une faible complexité descriptive (c’est-à-dire qui demande peu de mots pour le décrire). 

C’est le fameux théorème de codage de la théorie algorithmique de l’information, couplé au théorème du singe savant.

Soit, mais le lien avec l’évolution, c’est que si on apparente les mutations aléatoires des gènes à la programmation au hasard de nos singes, et si on apparente la variation de la structure biologique, comme une protéine par exemple, aux résultats d’une machine informatique, alors on peut dire, grâce à une simulation informatique bien calibrée, qu’une structure biologique à forte probabilité aura une faible complexité descriptive. Et comme une symétrie élevée correspond généralement à une faible complexité descriptive, on tient là la raison renversante de l’omniprésence des symétries dans le monde: c’est tout simplement ce qu’il y a de plus probable à faire.

Le tout a été testé informatiquement sur des clusters de protéines, et les prédictions détaillées donnent un accord carabiné. 

Ainsi, avec des mutations des gènes entièrement aléatoires de prime abord, on obtient des structures biologiques qui ne sont plus du tout uniformément aléatoires à l’arrivée, mais au contraire avec un biais extraordinaire à la simplicité descriptive, et donc, de fait, hautement symétriques. 

C’est une des racines de pourquoi le hasard fait bien les choses.

Le hasard et la flemme d’une bande de bonobos geekant à l’heure de la sieste, même pas crapuleuse, permet de hacker toute la beauté de la création? 

Admettons.

Mais remettons l’église au milieu du village, quel rapport avec le principe de moindre action? 

Le principe de moindre action généralisé dit : la nature optimise son évolution selon ses contraintes. 

Or, la variation génétique est déjà économique : elle va au plus probable et donc au plus simple, au plus court, ce qui est aussi moins coûteux en informations, comme en énergie, et les ressources sont limitées. Et ça, c’est le principe de moindre action. 

Faire le plus avec moins. 

Tout comme d’ailleurs la sélection naturelle qui suit, qui sur cette base déjà bien biaisée, va biaiser encore davantage, vers la plus grande utilité et même efficacité relative, en sélectionnant les formes les plus symétriques, pour permettre aux organismes de s’insérer au mieux dans l’économie de la nature. 

Et ce mécanisme qui marche bien pour les protéines, les ARN et d’autres éléments microscopiques comme les réseaux de régulation des gènes, n’a aucune raison de ne pas s’appliquer aussi aux symétries du monde visible, qui font la beauté du monde.

Autre conséquence de cette logique à l’œuvre, c’est la préférence automatique pour les structures biologiques robustes aux mutations. L’économie de l’information effectuée en allant au plus probable, permet de garder la place pour les redondances de la symétrie, avec les mêmes séquences se répétant, ce qui rend les structures organiques plus résistantes aux mutations. 

Les mutations aléatoires ont moins de chance d’affecter leur fonction principale, ce qui permet par la même occasion d’exploiter les mutations qui peuvent ajouter une fonction secondaire, comme par exemple une capacité à mieux se lier à d’autres protéines pour en former des plus complexes, qui peuvent à leur tour former des plus complexes, et ainsi de suite. 

Ou comment la plus grande probabilité donne la plus grande simplicité, qui finit par donner les fondations solides de la plus grande complexité, et donc improbabilité apparente.

Le hasard fait décidément bien les choses. 

D’ailleurs, deux études tout aussi récentes viennent conforter cette nouvelle vision du hasard, qui est plus orienté qu’on ne croyait. 

L’une, publiée dans Nature le 12 janvier 2022, sur l’arabette des dames, une plante avec très peu de gènes (120 millions de paires de bases contre 3 milliards pour l’être humain), ce qui en fait l’analogue d’un rat de laboratoire pour les plantes, et dont on a pu observer un taux de variation différentiel : les zones les plus vitales sont protégées contre les mutations, qui se manifestent bien davantage dans les zones plus périphériques du corps. 

En totale adéquation avec le nouveau modèle algorithmique, écornant le credo stochastiviste du tout aléatoire de rigueur. 

L’autre étude, publié dans Science, le 26 mai 2022, avec 250 000 animaux étudiés, montre que la plupart meurent avant de se reproduire. Seuls quelques adultes donnent naissance à un très grand nombre de descendants. En moyenne et à chaque génération, les changements génétiques permettent une augmentation de 18,5 % de la capacité de survie et de reproduction des progénitures. 

C’est 2 fois plus que ce qu’on croyait.

La sélection naturelle est donc deux fois plus efficace que prévue, et cette mise aux enchères permanente de la lutte et de la procréation aboutit à une optimisation assez réactive à chaque génération.

Là encore, le hasard est subjugué, par le flair des bêtes.

Même si ça ne suffira pas pour survivre à la grande extinction actuelle de l’anthropocène, si elle suit son cours sans révolution planétaire pour inverser la vapeur.

Ce que nous allons accomplir.

La nature optimise son évolution selon ses contraintes, dit le principe de moindre action généralisé, et face au hasard des changements de l’environnement, le hasard orienté en amont par les mutations pro-symétriques, et en aval par les sélections pro-symétriques, peut être une bonne stratégie en guise de réponse, souple et opportuniste.

Plus fondamentalement encore, il semblerait que les mutations génétiques soient plus fréquentes qu’on ne le soupçonnait, et cela par le biais de l’effet tunnel, une bizarrerie du monde subatomique, qui permet à des particules quantiques de pouvoir franchir une barrière de potentiel, alors qu’elle n’a pas l’énergie requise. 

Comme si elles empruntaient de la monnaie énergétique, pour la rendre de l’autre côté de la barrière.

Des chercheurs de l’université du Surrey viennent de publier, le 5 mai 2022, leur étude dans Nature communications physics, où leur modélisation informatique montre que les particules qui créent ce tunnel sont des protons le long des liaisons hydrogène de l’ADN, pouvant sauter d’un côté de la liaison à l’autre. 

S’ils le font juste avant que les deux brins d’ADN ne se clivent dans le cadre du processus de réplication cellulaire, les protons peuvent être piégés du mauvais côté, ce qui génère un mauvais appariement des paires de bases, les lettres de l’alphabet génétique (ACTG), et donc une possible mutation.

Et la chaleur, au lieu d’inhiber le mécanisme, comme on le croyait, le multiplierait.

Si cette démonstration informatique est confirmée par l’expérience, cela renforce encore l’influence du principe de moindre action, car son expression quantique, par l’intégrale des chemins de Feynman, où la particule explore tous les sentiers possibles, permet de modéliser l’effet tunnel, et contient en quelque sorte, dans son éventail probabiliste, les exceptions à la logique de la moindre action du chemin le plus bref, qui confirment sa règle générale, de nature statistique.

Il y a toujours une chance microscopique de passer la montagne et de s’échapper de la vallée.

Avec ce possible réservoir  accru de mutations endogènes, il y a matière à évolution. Voire, avec cette sonde quantique virtuellement foisonnante, matière à progrès. 

L’organisme bénéficiant ainsi de l’efficacité quantique globale à trouver le chemin le plus prompt, dans son évolution générale, comme d’une capacité incidente à pousser plus loin l’aventure, par des tunnels et autres chemins de traverse, potentiellement novateurs, notamment dans ses propositions génésiques.

Et au bout du tunnel, enfin, la lumière.

Marc, 09/04/2023

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